BEAUCOUP D'EAU, TROIS LAVOIRS, A LUDES LE COOUET (MARNE)
Par Nicole SOHET
L'eau ne manque pas à Ludes. C'est toute l'histoire du captage des nombreuses sources du village que nous conte N. Sohet. Elle nous dit comment - presque luxueusement l'eau de source a été mise à la disposition des habitants. Et comment, aujourd'hui, on semble oublier cet important moment de la vie du village.
L'origine des lavoirs de Ludes se situe au XlX° siècle. En effet, sur l'un des réservoirs les alimentant, on peut lire la date de 1875.
A Ludes fonctionnaient trois lavoirs, le premier, Place de l'Eglise (Place de la Liberté), le second, Place de la République, proche de la Mairie, au centre ; et le troisième, rue Victor-Hugo, desservant le bas du village.
Trajet de l'eau
La forêt communale, située au-dessus du village, est pourvue de nombreuses sources d'eau potable, plus ou moins importantes. Cette eau était recueillie dans un bassin (dit Petit Bassin, voûté, briqueté en ogive, clos par une porte datée de 1875 et située à l'intérieur du bois. Canalisée, l'eau alimentait le lavoir de l'église et celui de la place de la République. Le trop plein du lavoir de l'église se déversait dans une citerne de plusieurs centaines d'hectolitres qui alimentait elle-même plusieurs fontaines réservées à la lutte contre l'incendie. Un autre bassin (dit Grand Bassin) approvisionnait en eau courante les habitations ainsi que le troisième lavoir, en bas du village
Trois lavoirs
Ils étaient, à peu de chose près, identiques. Les murs en étaient construits en briques de pays, Ludes possédant sa briqueterie. La charpente était en chêne et, chose surprenante dans un village qui possédait 22 tuileries, ils étaient coiffés d'ardoises, décorés au faîte, de zinc et de tuiles faîtières. On a dû préférer l'ardoise pour sa longévité.
Un robinet réglait l'arrivée de l'eau. Ce robinet était indispensable pour tenir compte d'un manque d'eau possible, surtout en été. Deux bacs en pierre bleue de Givet, comportant un rebord de 10 cm, bien assis sur trois blocs de même pierre, étaient accolés, séparés par une goulotte qui permettait l'évacuation du trop-plein du premier dans le deuxième. L'eau se vidait par une seconde goulotte et disparaissait dans un regard, également en pierre bleue.
Canalisée sous la place, l'eau terminait sa course dans les caniveaux.
Le sol était couvert de carreaux ou pavés rouges, de Ludes. Quatre pavés accolés ensemble, formaient un grand carré. Le sous-mur de pierre bleue de Givet supportait l'assise des poutres de chêne.
Le lavoir de la place de la République était flanqué sur deux côtés d'un banc en pierre de Givet, supporté par une maçonnerie en pierres du pays, assemblées à la poudre de tuiles, à la chaux et au sable quelquefois. Ces pierres, nos grands-pères les avaient ramassées pendant l'hiver, sur la « montagne », dans les bois communaux, pour être employées sur les routes et pour les maçonneries communales. Ainsi avaient-ils payé, en nature, leurs contributions.
Les femmes venaient laver avec leur brouette, transportant leurs paniers de linge, le savon, la brosse en chiendent et la batte de bois. Selon l'abondance de leur lessive, certaines portaient le linge à dos dans une hotte en osier. Elles avaient soin d'interposer entre leur dos et la hotte, un épais tablier afin qu'au retour, elles ne soient pas trempées.
Pour les villageoises, le lavoir était un lieu de causette et quelquefois le rendez-vous des amoureux. Le lavoir de la place de la Liberté servait de halle pour le marché. Les ouvriers tuiliers venaient s'y approvisionner en volailles, légumes, œufs et beurre, auprès des producteurs locaux. Ce lavoir fut construit au même endroit où, en 1793, une halle de bois fut incendiée. Le lavoir de la place de la République voyait, chaque année l' « alambiqueux » ou bouilleur de cru, distiller la « dédaine ». En été, certains vignerons, avant de remonter à la maison, passaient au lavoir « débrouzer » (nettoyer) un peu leurs chaussettes. Ce bâtiment servit longtemps d'abri contre le grand soleil ou la pluie imprévue. On y attendait l'arrivée du bus hebdomadaire. Une laveuse professionnelle y lavait les tabliers blancs de la maison Heidsieck puis Canard-Duchêne, ainsi que le linge des personnes aisées.
A la gauche du lavoir, une remise de même construction abritait le sable et les outils nécessaires à l'ouvrier communal pour lutter l'hiver, contre le verglas. Cette remise briquetée, couverte de zinc, trouvait son éclairage par une « boguette » (lucarne) fermée par un cadenas. Une porte de bois verrouillait l'endroit. Un bac, toujours en pierre bleue de Givet, pourvu d'un robinet, servait au bouvier qui y faisait boire ses bêtes. Il servait aussi aux vignerons qui y conduisaient leurs chevaux. L'eau usée du bac empruntait le même chemin que celle du lavoir.
A droite une petite cabane briquetée, connue sous le nom de « Boîte à puces » servait de refuge aux gens du voyage, aux clochards, aux vagabonds. Ils y dormaient sur le bat-flanc (lit de bois) garni de paille...
Un toit, toujours en zinc, couvrait ce local. On y accédait par une porte de bois au-dessus de laquelle une « boguette », munie de barres en croix et de grillage permettait l'aération. De temps en temps, le garde-champêtre donnait un coup de balai dans le local et poussait les détritus au milieu de la place. Il les brûlait puis regarnissait le lit de bois avec de la paille fraîche. C'était une façon curieuse de désinfecter.
A une certaine époque, on recouvrait d'un crépi les murs de briques. Les habitants de Ludes confectionnaient eux-mêmes cet enduit. Les bricots de tuiles (déchets) étaient récupérés. A la veillée, pendant que les femmes brodaient, les hommes se réunissaient dans une cave comportant des tables de pierre. A l'aide de gros maillets dans lesquels étaient enfoncés des clous jusqu'à la tête, ils réduisaient en fine poudre rouge les tuiles cassées. Mélangé ensuite à la chaux et à l'eau, ce matériau servait à jointoyer les carreaux de craie. On s'en servait encore pour réaliser les enduits extérieurs, ce qui leur donnait cette couleur rosée très réputée et très recherchée actuellement en Champagne.
Les lavoirs eurent leur période de gloire avant que l'invention des machines à laver ait conquis nos Luyates. Après les avoir très régulièrement fréquentés, elles n'y vinrent que pour rincer puis n'y entrèrent presque plus.
Nos lavoirs subirent alors un sort horrible : la démolition. Cela se fit après décision du conseil municipal en 1950.
Le lavoir de la Place de la République laissa sa place à un kiosque désert, en béton, sans charme ni acoustique. Le vent de la démolition n'épargna pas le troisième.
Celui de la Place de l'église gardait sa propreté. Il était en bon état. On le remplaça par un triste parc de stationnement.